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Magazine Racine numéro de mai 16

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Internet: doit-on s’y mettre ?

Il devient difficile de se passer d’Internet pour de nombreux actes de la vie quotidienne. Pourtant certains refusent toujours de l’utiliser par principe, parfois par peur.

Cécile Thomas est formatrice en stage informatique et accès à Internet auprès de l’association nantaise Médiagraph.

D’où viennent les réticences de certains retraités à se mettre à l’informatique ?
D’abord, il n’y a pas que des retraités qui sont réticents à Internet car certaines personnes, plus jeunes, ont aussi des difficultés à s’y mettre. Mais les réserves des seniors portent sur leurs craintes d’échouer (« Je n’y arriverai jamais »). Il ne s’agit ni de réserve d’ordre d’utilité ni d’utilisation.

Est-il possible de vivre sans ordinateur, sans tablette?
Oui, on peut vivre sans ! Mais c’est mieux de vivre avec. Je m’explique : on peut vivre sans, évidemment, comme on peut se passer d’un téléphone. Maintenant les frontières entre téléphone, internet, ordinateur et tablettes sont un peu mêlées.
Mais si on s’en passe, on un peu coupé des autres.
Quand les gens viennent nous voir en formation, c’est pour rester en contact : soit cette demande de contact vient de l’administration ; soit elle vient de leurs enfants, de leurs petits-enfants, de leurs amis ; soit pour de l’économie participative ou des intérêts personnels (des locations de vacances, par exemple). On leur dit « il faut se mettre à Internet » parce que pour la société, c’est plus facile. C’est vrai qu’il y a désormais plein de services qui ne sont accessibles que par Internet mais ces personnes choisissent de s’en passer. Il n’y a pas d’obligation à se connecter. Enfin presque… car cette année pour la déclaration de revenus, il y a obligation de passer par Internet pour certaines personnes (lire en page 23, la question de la juriste sur la déclaration 2016).
Des caisses de retraite ou maladie disent qu’elles vont arrêter prochainement d’envoyer leurs relevés à leurs assurés autrement que par Internet, mais rien n’est mis en place pour accompagner les gens en difficultés vis-à-vis de l’outil. Bien sûr, certains — aidés par leurs proches — vont y arriver. Mais il y a tous les gens qui sont soit éloignés de leur famille, soit qui n’ont pas envie de demander à leur entourage ce genre de service. Là, ça va poser problème.

Peut-on parler de freins culturels ou économiques pour utiliser l’ordinateur ?
Contrairement à ce que l’on dit, ce n’est pas si facile que ça de s’y mettre. Le premier frein est d’abord technique sur les sites administratifs : il faut remplir des cases, lire les consignes, répondre à des questions… Il y aussi une crainte concernant la déclaration de revenus par Internet : « Est-ce que cela marche pareil qu’avec la feuille d’impôt, version papier ? » Ce sera plus facile de passer le cap si on peut se faire aider. De plus, la répétition facilite l’apprentissage de l’ordinateur.
En outre, il y a aussi l’aspect contraint: ce n’est pas un choix de passer par Internet! Certains vont se dire : « Je m’oppose à déclarer mes impôts par Internet. » Par rébellion. Par souci de ne pas fournir de données, de repousser le côté intrusif d’Internet. Cette réaction se retrouve surtout chez les plus jeunes. Chez les anciens, cet aspect est supplanté par l’envie de s’inscrire dans la société contemporaine, sans se couper du monde, et même avec une certaine fierté à réussir. « Malgré mes 80 ans, je peux le faire! » La protection des données et l’éthique d’Internet ne les inquiètent pas, ils en ont moins conscience. Pourtant, il y aurait des questions à se poser !

Avec les tablettes, l’apprentissage n’est-il pas plus simple ?
Selon moi, clairement non. Pour un vrai débutant, ce n’est pas sûr que la tablette soit plus simple d’emploi. Certes, cela semble plus facile, car il y a moins de choses à faire avec une tablette qu’avec un ordinateur. Sur une tablette, parfois le clavier n’apparaît pas, alors qu’avec l’ordinateur, il est toujours présent. De plus, l’ordinateur est toujours connecté à Internet alors que la tablette se déconnecte parfois.
Ce sont des usages différents. Une tablette, c’est pour aller sur Internet. On ne fait pas de retouche photo avec une tablette mais plutôt du dessin.
Certes pour un retraité qui ne voudrait que se rendre sur Internet, le choix de la tablette semble cohérent : c’est moins lourd, on peut la transporter, on est directement sur l’écran… Mais certaines applications enregistrées sur tablette n’ont pas les mêmes capacités que si on les utilise sur un ordinateur.

« Ce n’est pas un choix de passer par Internet ! »

Percevez-vous une différence entre les pratiques des hommes et des femmes?
Je m’en amuse, mais c’est réel: une femme se dévalorise tout le temps. Elle arrive en disant : « Je suis complètement débutante. Je ne sais rien. » Alors qu’en regardant sa pratique, on se rend compte qu’elle connaît plus de choses qu’elle ne le dit. Un homme va arriver dans nos formations en disant : « Je sais plein de choses mais il y a un petit truc qui m’embête. » Et, en fin de compte, on réalise qu’il a beaucoup d’autres lacunes. Cet aspect-là me surprend toujours : la dévalorisation féminine ou la survalorisation masculine. C’est difficile, pour un homme, de venir prendre des cours dans notre association et dire « Je n’y arrive pas, je débute ».
Les participants à nos formations sont essentiellement des femmes. À la retraite ou à la fin de leur vie professionnelle, les hommes ont plus d’activités individuelles mais peu d’apprentissages. Ils joueront à la pétanque, ensemble. Une femme, à la fin de sa vie professionnelle, va partir dans l’université permanente ou en quête d’apprentissage. C’est une autre gestion du temps libéré.

Proches et famille sont-ils aussi une bonne source d’aide ?
Oui, bien sûr. Tout dépend si cela se passe bien ou non. Un enfant qui apprend à son parent peut vite aboutir à: « Oh, tu n’y arrives pas, c’est sûr ! ou je te l’ai déjà expliqué dix fois ! » Une association comme la nôtre est neutre, c’est pourquoi cela se déroule mieux. Mais évidemment beaucoup de jeunes apprennent à leurs parents. Et puis, il y a l’auto-formation, certains s’initient par des livres._ De toute façon, plus on se sert de l’outil numérique, plus on a envie d’apprendre et plus cela devient facile.

Comment ces convertis à l’ordinateur et à Internet les utilisent-ils désormais ?
À travers nos formations, nous les incitons à en varier les usages en fonction de leurs intérêts. Nous les invitons à entrer dans le bénévolat numérique et à participer en tant que retraité au volet numérique de la connaissance générale. En alimentant par exemple les sites collaboratifs comme Wikipédia ou en les invitant à apporter leur aide aux associations pour le site internet, pour la comptabilité ou le rapport d’activité… Tout ce qui contribue au développement de la société.
On a lancé des ateliers avec les petits-enfants, autour des jeux vidéos pour que les retraités découvrent ce monde qui fascine les jeunes et pour qu’ils jouent avec leurs petits-enfants, aux jeux d’arcade ou de découverte, ou d’autres plus rigolos. Leur permettre d’avoir un regard de grand-parent sur les utilisations numériques… Cette génération peut aussi temporiser et ralentir nos envies d’aller toujours plus vite, car aujourd’hui on ne supporte pas de pas avoir la réponse tout de suite.

Propos recueillis par Yvelise Richard
magazine Racine

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Revue Nantes Métropole septembre 14

Une fracture Net

Cécile Thomas pilote l’association nantaise Médiagraph. Elle soigne la fracture numérique de celles et ceux qui n’ont pas encore apprivoisé Internet et tous les outils informatiques.

Cécile Thomas - Photo : Patrick Garçon Cécile Thomas – Photo : Patrick Garçon

On n’a pas tous les jours vingt ans. Pardon, le web n’a que vingt ans ? Oui. Mais il n’empêche que tout le monde n’a pas encore eu l’occasion d’apprivoiser un ordinateur, ce drôle d’animal un peu inquiétant parfois, qu’il faut savoir caresser dans le sens du pixel. Pas de panique ! Tout s’apprend avec un peu de confiance. Surfer sur les réseaux sociaux, tel Facebook, en toute sécurité, créer des flyers grâce à un logiciel de publication assistée par ordinateur (PAO), utiliser un téléphone mobile ou une tablette…. Chaque fois que quelqu’un a envie d’apprendre à se servir d’un outil numérique, les portes de l’association Médiagraph, située à Nantes, près de la place Viarme, s’ouvrent sur le visage de Cécile Thomas.

Aiguiller les gens
« Nous accueillons beaucoup de gens issus de tous horizons, de l’ouvrier d’une entreprise d’insertion à la retraitée de Canclaux, du petit enfant de six ans au vieux monsieur de quatrevingt- cinq ans, notre doyen. Même les geeks viennent nous voir ! » raconte Cécile Thomas, directrice et cofondatrice depuis 1996 de Médiagraph. On travaille à la fois dans le champ du numérique et celui de l’économie utile, sociale et solidaire. Mais social n’implique pas forcément l’idée de précarité. Les gens qui viennent vers nous ont des points communs. Ils se sentent loin du monde de l’informatique, se demandent comment prendre en main leur smartphone ou bien ont peur des réseaux sociaux. Nous sommes là pour aider les gens, dit-elle simplement. Et les aiguiller sur la bonne voie, c’est-à-dire celle qui leur convient. »

Pour arrondir les angles des ordinateurs

Médiagraph a tout d’une petite entreprise de services « à la carte », vendus à des tarifs défiant toute concurrence. Avec plus de 250 adhérents, cette association s’autofinance à 71 % et bénéficie du soutien de Nantes Métropole et de la Ville de Nantes. Elle propose des ateliers pour les plus de 50 ans, des formations accompagnées, dédiées spécifiquement aux structures de l’Économie sociale et solidaire (ESS), telles les entreprises de réinsertion Réagir Ensemble à Bouguenais, des matinées de sensibilisation à la culture numérique, des balades numériques, par exemple au Château-des-Ducs à Nantes… Les maîtres mots de Cécile Thomas, passionnée au long cours, autant par les progrès technologiques que par les rencontres humaines et l’entreprenariat : agir avec pragmatisme, pour mieux arrondir les angles des ordinateurs. Les pixels pour cela sont magiques.

En finir avec la fracture numérique
Médiagraph fait également sauter quelques tabous. Internet, ce n’est pas seulement pour les jeunes, mais pour toutes les générations, les ordinateurs, pour les hommes comme les femmes. « Aujourd’hui, il y a très peu de personnes qui ne savent pas ce qu’est le web. Un ami ou un proche leur a montré. Est-ce que quelqu’un qui n’a jamais appris à naviguer sur Internet ne sait pas pour autant ce que c’est ? Est-il exclu, c’est-à-dire en fracture numérique ? » s’interroge Cécile Thomas, arrivée à Nantes à l’âge de 16 ans en 1985. La fracture numérique serait ainsi plus dans l’usage (comment s’en servir) que dans l’accès (j’ai un ordi, un smartphone, etc.). « Internet fait partie de la vie en société, dit-elle, c’est une liberté ! »
L’ordinateur, avec ses millions de pixels sur l’écran, n’est jamais très loin dans la vie de Cécile Thomas. En regardant de près les tapisseries qu’elle réalise à ses heures pas si perdues que cela, à partir d’images de télévision ou de vidéosurveillance, on comprend vite que passer du pixel au point de canevas est pour elle un « grand kiff » !
Cécile Faver

Portrait Nantes Métropole

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revue Place Publique#45

Article édité dans la revue Place publique du mois de mai-juin 14,
au sein d’un dossier « le numérique à Nantes : espoir et illusions »

14placepublique
Cécile Thomas
« la fracture numérique c’est d’abord une fracture sociale »

Apprendre à remplir sa déclaration d’impôt en ligne. A retoucher des photos. A tirer tout le bénéfice de son téléphone portable. A créer un tableau ou des graphiques. A faire des recherches sur Internet…

L’association Médiagraph est à la disposition de tous, parfaits débutants ou pratiquants déjà chevronnés, pour manipuler les outils numériques à des fins personnelles, associatives ou professionnelles.

Nous sommes à la fin du siècle dernier. Cécile Thomas, graphiste passée par les Beaux Arts où elle a étudiée le design, se forme à l’Internet et se dit qu’après tout elle ne doit pas être la seule à ressentir le besoin d’un tel apprentissage. D’où la création en 1997, de Médiagraph, une association d’économie sociale et solidaire, soucieuse de ne pas laisser sur le bord du chemin les populations les plus éloignées du numérique par leur âge ou leurs manque de formation.

De la courte séance d’une demie-heure, de la simple prise en main d’une tablette ou d’un smartphone au stage professionnalisant d’une vingtaine d’heures, la gamme des formations est étendue. Celles des publics aussi : 68 % de femmes, 62 % de plus de 60 ans, des membres du Conseil de développement de Nantes Métropole, des jeunes femmes d’une entreprise d’insertion, des bénévoles peu à l’aise avec l’ordinateur de leur association… « Nous sommes la voiture balai de l’apprentissage », résume Cécile Thomas. « Chez nous on a le droit de poser des questions idiotes. »

Avec le recul, Médiagraph jette un regard aigu sur la fracture numérique. Se réduit-elle à mesure que les ménages s ‘équipent ? « Pas tant que cela, répond Cécile Thomas, parce que chaque innovation pose de nouvelles questions à de nouveaux publics. Les fabricants de portables devraient nous subventionner ! Certes moins de gens nous demandent à quoi sert Internet, mais ils nous interrogent : « moi, concrètement quel bénéfice vais-je en tirer ? » »

La fracture numérique passe t-elle entre ceux qui sont nés dans le bain du numérique et les retraités ? « Ce n’est pas si simple, assure Cécile Thomas. Tous les enfants sont loin d’être égaux devant le numérique. Des enfants qui sont passé entre les gouttes de l’école, mal à l’aise avec la lecture et l’écriture, auront évidemment du mal à faire des recherches sur l’internet. La fracture numérique est d’abord sociale, bien avant d’être générationnelle ».

Thierry Guibet
Place Publique#45
http://www.revue-placepublique.fr/